hold your breath and count to ten (temperance)

6.30 a.m. Il ouvre un œil puis l’autre, les paupières lourdes de sommeil. Il y avait toujours un moment de flottement où il était tiraillé entre l’envie de de rendormir et la nécessité qui lui commandait se lever. Un moment qui s’évaporait un soupir parce qu’il était toujours rattrapé et happé par la réalité. Et la sienne était rythmé, savamment orchestré par sa fille, qui du haut de ses huit mois, savait déjà se faire entendre.

Il se lève péniblement mais surtout machinalement, tel un automate. Il s’habille, enfile les premiers vêtements qu’il saisit : un jean et t-shirt, l’attirail classique d’un papa trop occupé pour se soucier de son apparence sans pour autant l'ignorer. Puis,  se dirige vers la chambre de Romy. Il croise le regard brillant de son bébé à peine réveillée et il sort instantanément de son mutisme matinal. Elle lui tend les bras, il la love contre son torse, comme toujours depuis qu’elle était née. L’engrenage d’un quotidien bien huilé, bien que toujours aussi chaotique, venait d’être relancé.

D’un pas de plus en plus assuré, il se dirige vers la cuisine, ouvre le frigo, se saisit d’un biberon qu’il avait préparé la vieille tandis qu’il presse son index contre le bouton d’allumage de la machine à café, qui vrombit. Il ne pourrait plus s'en passer, lui qui, avant, n'en buvait jamais. Il s’assoit, le biberon dans un main, sa tasse de café dans l’autre et Romy sur ses genoux qui l’engloutit d’un trait, ou presque. Il lui tapote le dos en se demandant comment il allait occuper sa journée. Il était si rare qu’il ait un jour de repos, qu'il ne savait pas véritablement quoi faire mais, il était bien décidé profiter au maximum de sa petite princesse.

Les rayons du soleil qui filtrent à travers la fenêtre, se réverbèrent sur les murs blancs et réchauffent l’atmosphère de la maisonnée encore plongée dans le silence. Et, il sait. Il habille chaudement sa fille, la glisse dans sa combinaison doublée d'une polaire avant d’enfiler une paire de chaussure de randonnées, son manteau et un bonnet qui dissimulait ses cheveux, légèrement ébouriffés. Il dépose Romy dans sa poussette et s’en va.

La brise matinale lui caresse le visage, froide et douce. Les rayons du soleil s’affirment au fur et à mesure que le paysage défile sous ses yeux. Du sud, d’où il était parti, il se retrouvait au nord de la ville, sans vraiment s’en rendre compte lui-même. Il se contentait d’avancer, de respirer, de profiter du spectacle que lui offrait la nature.

Il longe les champs de Kurland. Ses souvenirs d’enfance ressurgissent. Alec ne peut s’empêcher d’esquisser un léger sourire. Il finit par arriver à l’orée de la forêt. Il s’y aventure mais réalise assez vite qu’y progresser avec une poussette n’était pas l’idéal. Il reprend sa fille dans ses bras, en sécurité contre son flanc, laissant la poussette derrière. Il n’avait pas l’intention d’aller très loin. Il la reprendrait plus sur tard. Personne ne lui volerait.

Romy s’émerveille. Elle était plus habituée aux fracas des vagues qu’aux bruits des bois. Le chant des oiseaux, le bourdonnement des insectes, le froissement des feuilles. Il s’enfonce dans la forêt, frôle les troncs pour que sa fille puisse les toucher, sentir l’écorce sous ses petits doigts. Puis, il s’accroupit, elle attrape une feuille, qu’elle examine sous toutes les coutures. Elle la tourne, l’écrase, gazouille avant de la tendre à Alec et d’en saisir une nouvelle. Elle joue presque fascinée et Alec, il l’observe découvrir le monde. Il profite de l’instant présent. Il oublie tout le reste. Il n’y a que lui et sa fille. Il ne se rend plus compte du temps qui passe, il ne surveille plus l’écran de sa montre qui affiche les secondes et les minutes qui défilent.

Une branche qui craque et Alec fait volte-face. Réactif, à l’affût, même malgré lui. Il avait conservé certains réflexes hérités de l’armée. Une jeune femme, blonde vénitienne se tient à quelques mètres. Il la connait, sans la connaître.  « Temperance ? » se risque-t-il à prononcer en esquissant un léger sourire. Il n’était pas sûr de son prénom. Il l’avait croisé à plusieurs occasions mais, toujours dans l’urgence. « Est-ce-que tout va bien ? » continue-t-il. Elle semble absente, ailleurs, plongée dans ses pensées. Elle n’avait peut-être même pas remarqué sa présence, ne l’avait peut-être même pas reconnu sans son uniforme de pompier.

Après une nuit d’insomnie, Tempe s’était levée très tôt, lasse de se retourner en vain dans son lit, et après une douche chaude et un petit déjeuné rapide, avait décidé de profiter des premières lueurs du jour pour courir un peu. Ce n’était pas une sportive invétérée, mais un peu d’activité de temps à autre ne faisait pas de mal et permettait d’entretenir un peu la forme. Et elle avait du temps libre avant de devoir se rendre au cabinet médical. Le soleil se devinait derrière la brume matinale, qui apportait une touche fantasmagorique au paysage. L’air était frais, vivifiant. Sans réellement y réfléchir, ses foulées l’amenèrent jusqu’à l’arrière du champs où elle avait disparu vingt années plus tôt, à l’orée du bois, et elle faisait face à la demeure de l’ancien vétérinaire, devinant les croix des tombes du vieux cimetière d’animaux qui jouxtait sa propriété. Malgré elle, cette vision lui en rappela une autre, sorte de flash émergeant de ses souvenirs perdus, où elle voyait – ou du moins pensait voir – des croix similaires à travers une lucarne ronde, seule source de luminosité. Hélas, elle avait beau creuser sa mémoire, celle-ci demeurait défaillante, refusant de lui octroyer plus de détails ou d’informations.

C’est ainsi, absorbée dans ses pensées, qu’une voix masculine la rappela à la réalité, la faisant sursauter violemment par la même occasion. Elle fit volte-face, et découvrit son interlocuteur. L’homme souriait timidement, portant contre sa hanche un bébé visiblement âgé de quelques mois. Le tableau qu’il offrait étant ainsi peu effrayant, elle pu reprendre contenance rapidement et calmer les battements effrénés de son cœur. Il connaissait son prénom, donc elle devait le connaître, de toute évidence. Tempe esquissa à son tour un sourire poli, et s’approcha, reconnaissant alors un des pompiers de Kurland qu’elle avait déjà eu l’occasion de croiser depuis son retour en ville. Elle fouilla une fois de plus dans sa mémoire. « Bonjour ! Alec ? C’est bien ça ? » Le sourire se fit plus franc, soulagée désormais après la frayeur passée. « Tout va bien merci. » le rassura-t-elle, un peu gênée d’avoir été surprise ainsi plongée dans les méandres de son passé. Elle avisa le bébé avec une moue attendrie. « C’est votre fille ? Elle a l’air adorable. » Elle était sincère, le tableau qu’il offrait avec son enfant lui rappelait avec un cruel pincement au cœur le fait qu’elle n’ait jamais pu donner la vie elle-même. « Vous êtes adepte des promenades matinales vous aussi ? » demanda-t-elle, histoire de lancer la conversation sur un terrain neutre.