(HARLEY JAMES) I'm too weird to live but much too rare to die

◗ Portrait
une date  - Le jour où ton dessin a été affiché sur le mur de la classe, à l'école primaire.
un animal  - Un chat, un animal en certains points semblable à toi, c'est certainement pour cela que tu en as adopté un.
une fleur - La fleur de camélia, symbole de la fugacité de la vie.
une couleur - Le noir, même si ce n'est pas vraiment une couleur, par définition.
un film - V pour Vendetta.
une chanson - Circles - Hollywood Undead
un instrument  - La guitare basse, discrète et indispensable.
un bruit  - Le bruit de la pluie, rassurant, apaisant car prévisible.
◗ Vracs

skeletons & music:

Le cheveu sur la soupe.
Voire : Le mouton noir.
Voire : Le vilain petit canard.
Voire : La tâche au tableau.

C'est ainsi que toi, tu t'es toujours senti. Gamin mal dans ta peau, né d'une mère célibataire et surtout mineure. Même petit t'étais pas débile, tu savais que quelque chose n'allait pas, quand les gens posaient les yeux sur ta mère et toi, quand tu discernais les murmures sur votre passage sans même comprendre ce qu'ils racontaient. La pauvre fille ; le pauvre enfant. Impossible de dire qui se faisait le plus plaindre entre toi et celle qui t'a mis au monde, mais toujours est-il que le jugement planait sans cesse au-dessus de vos nuques, à vous. Et on t'a toujours fait comprendre que t'aurais pas dû être là, toi. T'es arrivé trop tôt. Pourquoi étais-tu né quand ta mère avait dix-sept ans et devait avoir une autre vie ? Bien sûr, ça ne venait pas de Maman. Ca ne venait jamais de Maman. Maman, dans sa parfaite imperfection, était jeune et ne savait pas être une maman et une jeune femme en même temps, mais elle faisait de son mieux. Mais au fond de ton palais, il y avait l'amertume que seul celui qui a tout gâché sans le vouloir peut goûter.

Parfois, Maman essayait d'avoir une vie. Maman devait apprendre des choses et travailler pour gagner de l'argent. Et Maman devait vivre sa vie, voir des gens et faire des trucs "de son âge". Alors c'était ses parents qui te gardaient, et ses parents, t'aimais pas beaucoup aller chez eux. Tu pleurais quand Maman t'y laissait, et quand Maman venait te chercher le soir, tu refusais de rester dîner. Papy et Mamie t'ont appris la bible. Et même que le dimanche, tu devais mettre des jolis habits propres pour aller à l'église. Et toi t'aimais pas. Toi, tu trouvais ça ennuyeux et tu préférais salir tes habits en jouant dans la terre et dans l'herbe. Si tu faisais des caprices t'étais puni, tu recevais des fessées en guise de punition, puis tu devais écrire des dizaines de fois que t'étais désolé même si tu ne l'étais pas vraiment. Maman, elle, elle ne t'aurait jamais frappé. Maman, elle ne te punissait jamais.


TW // harcèlement scolaire

A l'école, t'étais le gamin bizarre. Celui qui n'était pas comme les autres et qu'on laissait sur le côté. Pas gentil, pas souriant, et qui au final préférait rester seul plutôt que de s'embêter avec des personnes qui ne voulaient pas de lui dans leurs pattes. Les années passant, t'es devenu le gosse persécuté. Celui qu'on pousse, dont on rit et qu'on insulte. Sous les jambes de pantalon et les manches de tee-shirts, tu cachais des hématomes. Tu disais que tu t'étais entravé, que t'étais tombé. Tes yeux délavés fixaient le portail de l'école d'un air mort, ça te donnait mal au ventre, tu ne te plaignais jamais. T'essayais de te faire oublier, sans succès. Tes bourreaux ont créé autour de toi une bulle bien solide que bien peu de personnes n'osaient pénétrer de peur d'être contaminé par ta pseudo-médiocrité. Ils t'ont poussé dans tes plus profonds retranchements, t'inculquant la crainte et la haine à une intensité jusque là tu n'avais jamais connu. Tu t'es longtemps muré dans un silence d'outre-tombe, jusqu'à ce que ta coquille ne se fendille pour finir par se briser lorsque tout est devenu trop lourd. Tu as cédé sur une remarque de trop, ta main partant plus vite que tu n'avais réussi à penser, comme un réflexe. Tu aurais voulu rendre chaque blessure qu'on t'avait infligé, coup pour coup. Mais il y a seulement eu cette gifle. Et une bagarre à la sortie de l'école.
Bagarre que tu as perdu.

Tu as eu du mal à expliquer à Maman ce qui s'était passé. T'avais honte et tu savais qu'elle allait être dévastée. Mais dans le bureau du directeur, t'as été obligé. Et au retour à la maison, elle t'a acheté du mcdo avec une glace en dessert, te promettant de te changer d'école, te promettant de te protéger. Mais Maman ne savait pas qu'il n'y avait déjà plus grand chose à protéger, qu'au fond t'étais déjà cassé.

Tu as quitté l'école dès que tu as été en âge.
Trop traumatisé pour continuer.


Les arts graphiques, tu les as dans la peau depuis ta plus tendre jeunesse. Lorsque tu dessines, c'est comme si t'étais né avec un crayon à la main. Et tu peins, et tu photographies, et tu écris. On te demande souvent si tu as bénéficié de cours, mais ce n'est pas le cas. Le tout est le fruit d'un intense entraînement de tous les jours, d'une passion sans limite, d'une envie de laisser sa marque en quelque sorte, de la façon qui te plaît. Tu as un amour sans limite pour le noir et blanc, pour le gris dans toutes ses nuances. C'est ta vision de la vie, tu la transmets sans timidité. Tu n'as pas peur d'essayer et de te vautrer. Tu es exigeant et intransigeant avec toi-même, tu sais que tu as de l'or au bout des doigts que tu dois juste parvenir à révéler. Les images sont ton principal moyen d'expression, et les mots viennent plus facilement lorsqu'ils sont écrits plutôt que lorsqu'ils faut les extirper de tes lèvres. Tu n'hésites pas à faire des recherches, cherchant sans cesse à t'améliorer et te perfectionner. Tu n'épargnes jamais tes efforts, bossant jusqu'à ce que tes mains soient endolories, et même encore après. Tes photos, tes peintures et tes dessins, tu les vends, tu les publies aussi sur instagram. Tes écrits, tu participes à des concours avec pour arrondir tes fins de mois. Nouvelles et poésies, tu t'essayes à tout ce que tu te sens capable de faire. Et si tu ne t'en sens pas capable ? Tu tentes d'apprendre.


Tu as eu cette phase de questionnements : mais c'est qui ? Mais comment il s'appelle ? Mais tu l'as rencontré comment, Maman ? Il était gentil ? Il était beau ? Et pourquoi il est pas là ? Et pourquoi-ci, et pourquoi-ça ?

Tu as eu cette phase de tristesse : mais pourquoi il est pas là ? Et pourquoi tu n'as pas une famille comme les autres ? Et pourquoi tout le monde porte le nom de son papa et pas toi ? Et pourquoi Maman doit se débrouiller toute seul ? Et qui va t'apprendre "les trucs de mec" ? Maman ne saura jamais... Ah non, pas Papy !

Tu as eu cette phase de rejet : qu'il aurait pu prendre des nouvelles de Maman, qu'il aurait pu essayer de prendre contact, qu'il aurait pu essayer de comprendre. Et qu'il avait qu'à pas être si loin. Et qu'il est personne à part un géniteur. Et qu'il n'existe pas pour toi. Qu'il n'existera jamais à tes yeux.

Pour finir par cette crise identitaire, rongé par la curiosité. T'as décidé de partir à l'aventure. Avec un nom - Malio Evans - et une vieille photo datant de l'époque du lycée, t'as pris le bus, ton sac pesant une tonne au moins sur le dos. Comme pris d'une impulsion, d'un besoin soudain d'en savoir plus, tu voulais retrouver ce type, celui qui avait participé à ta conception. Tu voulais voir à quoi il ressemblait maintenant, savoir d'où il venait, quelle était son histoire. Te faire une idée de la vie que t'aurais eu si il y avait participé au lieu de juste contribuer, sans le vouloir, à te faire exister. Comment aurait été ta vie si tu t'étais appelé Evans ? T'as eu la chance que lui et Maman avaient des amis en commun qui étaient toujours à Vancouver à votre retour là-bas. Ils avaient dit que Malio était parti à Kurland, qu'il avait fait des études pour être professeur. Alors t'as été à Kurland. Et tu l'as trouvé. Tu n'as même pas mis longtemps. Et si tu t'étais fait mille et un scénarios dans ta tête, tu n'avais pas envisagé le fait que, une fois tombé sur lui, tu n'oserais pas aller vers lui. Les tripes tordues par la crainte de l'inconnu et de sa réaction, tu t'es contenté de l'observer. Tu te contentes de te mettre en retrait et d'analyser ses faits et gestes lorsque tu as la chance de le croiser, attendant le jour où enfin, tu seras capable de prendre ton courage à deux mains, et d'aller lui dire bonjour.